L’enseignement

En 1848, les élèves doivent avoir 16 ans accomplis, faire une demande auprès de la Préfecture et joindre un « certificat de vaccins ». Ils doivent prouver « qu’ils ont une instruction primaire suffisante pour suivre l’enseignement ». Pour cela, ils passent un examen (à la Préfecture de Limoges) devant un jury composé du directeur et de personnalités diverses.

11 élèves sont généralement recrutés : 9 pour l’agriculture, 2 pour le jardinage ; souvent le nombre de candidats finalement aptes, conduit à prendre 2 ou 3 surnuméraires mais aussi à en refuser certains (à noter que d’autres fermes-écoles n’ont pas un recrutement aussi important, n’atteignant que très  rarement l’effectif annuel de 11 apprentis). Les surnuméraires sont pris à titre payant.

En fin d’année, ils passent un nouvel examen pour la vérification des progrès réalisés.

La scolarité est de 3 ans sanctionnée par examen de sortie. Ceux qui ont satisfait à l’examen de sortie reçoivent un diplôme et un  pécule. De plus le Ministère de l’agriculture décerne une médaille  d’argent et deux médailles de bronze aux premiers d’entre eux.

 

Lettre de candidature à l’entrée à la ferme école

Lettre de candidature à l’entrée à la ferme école

En 1869, une modification concernant l’âge de recrutement intervient.

Voici ce qu’en dit A. de Bruchard.

« Aujourd’hui que l’âge de 17 ans est de rigueur, je crains que ce soit là un grand obstacle à notre recrutement car en Limousin, les gens prennent de bonne heure une détermination, ils émigrent ou se  livrent à l’industrie. Et la population disponible de 17 ans sachant  lire et écrire est très rare. J’éprouve donc des craintes pour nos  contingents futurs et cependant l’instruction agricole aurait, dans  notre pays plus qu’ailleurs une importance majeure. »

 

Quelques points du régime de la ferme-école 

« Le règlement et l’emploi du temps sont particulièrement stricts dans les premières écoles »précise l’ouvrage « Le Printemps de l’enseignement agricole » qui a donné l’emploi du temps consulté aux Archives nationales.

Distribution du temps du 1er avril au 1er octobre :

Lever des élèves au dortoir, soins de propreté, rangement du lit 4h

Indication du travail 4h30 à 5h

Travail 5h à 8h

Halte 8h à 8h30

Reprise du travail 8h30 à 11h

Etude 11h à 12h

Diners, repos 12h à 14h

Travail 14h à 16h

Goûter 16h à 16h30

Travail 16h30 à 17h

Etude, explications 17h à 20h

Souper 20h à 20h30

Ordre 20h30 à 21h

Coucher 21h

En hiver le lever est à 5h.

L’emploi du temps de Chavaignac est à peu de choses près celui qui précède. Le lever est à 4h30 au lieu de 4h par exemple.

Sur les 13 heures approximatives de travail journalier, la pratique représente semble-t-il, environ 10 heures, l’enseignement théorique environ 3 heures. Cela 6 jours sur 7, le 7ème comportant encore des activités d’apprentissage.

A la fin du 19ème, les repas :

En été, les élèves se lèvent à 4 heures et demi. Ils ont la possibilité de prendre du pain.

A 7 heures moins le quart : pain

A 9 heures soupe, pain, fromage

A 13 heures repas principal.

Lundi, mardi, jeudi, 1/2 litre de vin pur, quatre fois par semaine, les trois autres jours, cidre ou bière.

Les jours sans viande, plat de légumes copieux et salade.

A 8 heures le soir : soupe, plat de légumes, fromage, salade.

Certains jours, le plat de légumes est remplacé par un plat de laitage. Lorsque  la journée de travail a été pénible, une ration de vin, cidre ou bière  supplémentaire.

Le régime d’hiver prévoit 1/3 de litre de vin au lieu de 1/2 litre et le soir à 5 heures soupe et fromage.

On notera que le pain est toujours à la disposition des élèves ; voici  quelques renseignements complémentaires pris dans un rapport au Préfet :

« Le pain composé de 1/3 de farine de froment et de 2/3 de seigle était bon  et toujours frais, la panification étant faite à l’école, quatre fois  par semaine, (…) Le vin était de bonne qualité et pur, (…) C’était  l’élève chargé de surveiller la cuisine qui allait lui-même à la cave  accompagné de M. Engel pour le tirer au tonneau et (…) la viande était aussi de bonne qualité ; un ou deux élèves (…) ont toutefois fait observer que la préparation des aliments laissait parfois à désirer. »

Le trousseau :

Trois chemises blanches, deux pantalons de drap, deux gilets de coton ou de  laine, quatre paires de chaussettes de coton, douze mouchoirs de poche, deux paires de souliers, six chemises de travail, deux pantalons de coutil ou de velours, un gilet à manches en satinette, quatre paires de chaussures de laine, six serviettes de toilette, une paire de sabots, quatre draps de lit.

Les élèves disposent de caisses ou malles pour placer leur linge ; ils couchent sur des paillasses en toile.

Le travail :

L’emploi du temps est affiché ; il est toujours très scrupuleusement respecté. Si « par suite des besoins de la culture il était pris quelques heures sur celles de l’étude, elles étaient rendues à l’étude, aussitôt que possible ».

Le dimanche matin les élèves sont conduits à la messe, l’après midi exercice militaire avec instructeur de 2h à 3h 1/2 et arpentage pratique avec le sous-directeur de 4h à 6h en été et de 4h à5h en hiver.

Après la guerre de 1870, (où Emile de Bruchard avait reçu 2 blessures), l’opinion générale était qu’une instruction militaire était nécessaire pour rendre impossible une nouvelle défaite. Cette instruction fut donc réalisée, même dans les écoles primaires. En 1876 Adolphe de Bruchard avait demandé, aux autorités de tutelle, l’attribution de 25 fusils destinés au maniement d’armes. Les 25 fusils sont bien entre les mains de nos jeunes gens. C’est Feydeau, un ancien sergent à la retraite, qui est devenu le 1er instructeur militaire de Chavaignac.

Photo d'un groupe d’élèves lors d'un exercice de maniement d'armes

Photo d’un groupe d’élèves lors d’un exercice de maniement d’armes

Les cours :

Nous informons nos lecteurs que nous avons reçu le concours d’un professeur d’école d’ingénieur, aujourd’hui à la retraite, pour l’analyse qui suit, portant sur les cours des élèves de la ferme-école.

Abondance et richesse des connaissances transmises, telle est la première impression qui s’impose lors de la lecture des cours manuscrits, le plus souvent présentés avec grand soin : titres en gothique ou ronde, écriture régulière bien formée avec pleins et déliés, majuscules ornées d’arabesques.

Le niveau des élèves semble inégal.

Il ne s’agit pas de notes de cours tels que nous le concevons aujourd’hui, mais de textes complets aux phrases pleines et liées ; pas d’abréviations, peu de symboles, peu de repères, tels que surlignage, encadrement. Les descriptions de plantes, d’animaux, de matériels restent essentiellement littéraires. Les illustrations rares, sont, quand elles apparaissent, dessinées avec précision et soin. Ce n’est qu’aux environs des années 1910 que nous voyons dans le cours d’agriculture, partie génie agricole, des images de machines, collées, sans doute après découpage dans des catalogues.

L’étude descriptive du matériel agricole suit la progression technique, toutefois par souci d’exhaustivité, la présentation des outils anciens n’est pas occultée. C’est ainsi qu’en 1882 après la description de la faucille, de la faux, vient celle de la faucheuse, et dès 1910 elle sera suivie par celle de la moissonneuse-lieuse.

Apporter des connaissances théoriques dans les différentes disciplines abordées est l’objectif initial des cours, mais il n’est pas, de loin, le seul.

L’application, la mise en œuvre du savoir sont largement développées, les conseils, les mémentos abondent.

Des travaux d’arpentage, d’irrigation, de drainage, réalisés par les élèves, sont relatés en détail. Retenons en particulier la description commentée de critiques des travaux d’irrigation et drainage du domaine de Chavaignac sous la conduite du Directeur A. de Bruchard lui-même cité.

La notion de prix de revient est commentée et chiffrée. Parmi de nombreux exemples, examinons l’étude du « prix de revient de la coupe d’un hectare de céréales » en fonction de la technique utilisée.
Prix de revient de la coupe d'un hectare de céréales

Prix de revient de la coupe d’un hectare de céréales

Faut-il céder à l’attrait de la machine ou rester fidèle au travail humain sous le seul critère du prix de revient ? Dès la fin du 19ème siècle apparaît l’idée de la nécessité de prendre en compte la notion de concurrence (déjà) qui incite à la mécanisation.

A partir des années 1880 une tendance à faire appel à des notions scientifiques plus précises s’installe et s’accentue au cours du premier quart de notre siècle. La décision ministérielles (1875) de créer des écoles pratiques d’agriculture dotées de programmes scientifiques plus exigeants que ceux des fermes-écoles et à laquelle A. de Bruchard avait apporté des remarques n’est sans doute pas étrangère au développement théorique de l’enseignement à Chavaignac.

 

En mathématique le cours commence toujours par l’étude détaillée de la numérotation, des quatre opérations puis vient l’algèbre avec ses principaux chapitres :

-avantages de l’emploi des lettres, équations.

-opérations algébriques (polynômes et nombres)

-fractions algébriques

-résolutions des équations du 1er et 2ème degré, de systèmes d’équations à plusieurs inconnues.

De même l’étude des progressions arithmétiques, géométriques, les logarithmes et les calculs logarithmiques sont abordés, le cours reste dicté, semble-t-il, le langage reste « littéraire ».

La géométrie plane, initialement tournée vers les applications utilisables dans la pratique, telles que :

-nivellement, arpentage

-constructions de figures

-levés de plans

se voit complétée avec théorèmes, démonstrations, par des chapitres comme :

-cas d’égalité des triangles,

-parallèles et sécantes

-notions de trigonométrie, résolution des triangles.

La géométrie dans l’espace fait son entrée avec un programme comparable à celui des classes de 1ère des lycées dans la période d’environ 1935-1950.

La même comparaison avec l’enseignement secondaire vaut pour la physique qui aborde les chapitres de :

-mécanique (notons déjà, la notion de quantité de mouvement, l’étude de la machine d’Atwood),

-hydraulique,

-étude des gaz,

-chaleur,

-optique géométrique,

-électricité, électromagnétisme (roue de Barlow, moteurs électriques),

La chimie pénètre le cours d’agriculture en particulier pour l’étude des sols et des engrais. Quelques symboles et formules sont utilisés : C, O, CO2, CaO, KO et d’autres qui évolueront :PhO3, SO32H2O.

Signe de modernité, le cours dit « vétérinaire » devient, à l’approche du 20ème siècle, de « zootechnie ».

La création du Herd-book en 1886 n’avait pas échappé à la ferme-école, la notion de sélection comme telle s’enrichit d’exigences scientifiques avec référence à Darwin. On étudie la sélection naturelle, puis les différentes techniques de sélections artificielles : croisements, métissages, hybridations, créations de livres-généalogiques.

 

En conclusion :

Combien d’heures de cours un élève de la ferme-école a-t-il suivi durant ses trois années de scolarité ?….De l’ordre de 3000 heures sans doute.

Les carrières, parfois brillantes, des anciens élèves montrent l’efficacité de l’enseignement prodigué à Chavaignac. Les cours que nous avons consultés nous laissent penser par leur contenu et leur présentation souvent soignée, qu’ils pouvaient être considérés, à l’époque où les ouvrages de vulgarisation de l’enseignement agricole étaient rares ou inexistants, comme un viatique que l’élève, quittant son école, emportait pour y puiser tout au long de son activité professionnelle les connaissances et les conseils pratiques qui lui seraient nécessaires.

Voici deux extraits de rapports adressés au Préfet par le Directeur et concernant l’enseignement et l’esprit général de l’école

…Le but de la ferme-école étant de former de bons praticiens, tous les élèves sont exercés suivant l’année d’étude à laquelle ils appartiennent à la conduite des attelages, à la direction des machines et instruments perfectionnés, à l’entretien des animaux, basé sur les principes de zootechnie les plus rationnels.

En un mot, nous cherchons à faire d’eux des jeunes gens capables de gérer un jour avec succès leur propriété ou celle d’autrui. Mais pour que tous ces travaux s’accomplissent d’une manière plus intelligente, il est indispensable de joindre à la pratique les notions théoriques suivantes : agriculture, économie rurale, comptabilité, botanique, zootechnie, pisciculture, horticulture, sciences physiques et naturelles, arpentage, nivellement et mathématiques.