Voici quelques compléments apportés par M. André Couvidou concernant le Général Bardet et sa vie en dehors des champs de bataille, lors de l’inauguration de l’exposition « 50 ans de vie locale ». Ce vernissage aura réuni quelques uns des descendants de nos chers officiers, dont M. Couvidou, qui furent ravis d’en apprendre un peu plus sur leurs aïeuls grâce à nos documents et nos recherches.
Faisant fonctionner le courant de ma mémoire, me ramenant à plus de cinquante ans en arrière, j’ai revu l’enfant que j’étais, qui deux fois par an, le jour des Rameaux et de Toussaint, accompagné de son père, s’inclinait sur trois tombes :
- Celle où reposaient mes grands-parents provenant de la famille Bardet dont l’acte notarié était conservé précieusement dans les archives familiales.
- Sur la tombe de la famille Couvidou-Bardet, carré de six places où j’apprenais que là reposait un arrière-arrière-grand-père qui avait servi et combattu sous aigles du Premier Empire, des boues glacées de la Pologne, au soleil brulant de l’Espagne, vivant encore avant le Second Empire, il s’était vu décerner la médaille de Sainte-Hélène. Il avait été, soit-disant, trop petit et trop malingre pour faire un grenadier.
- Et enfin sur la tombe du Général Bardet.
N’ayant jamais lu aucun document, mon père me transmettait ce qu’on lui avait appris de génération en génération, à savoir que Bardet avait formé une Garde Nationale qu’il faisait manœuvrer sur « Pétourène » (champ de foire de Peyrilhac), qu’il s’était vaillamment battu à l’armée de Sambre et Meuse, montant rapidement en grade, qu’il avait fait la campagne d’Espagne d’où il était revenu fatigué et malade.
A sa retraite, m’expliquait mon père, le Général ne s’intéressait qu’à ses métairies et son équipage de chasse avec lequel il traquait les loups. Il insistait, en me disant qu’une de mes arrières-arrières-grands-mères, nièce et filleule du Général, avait pu apprendre à lire et à écrire grâce à son parrain. Elle l’aurait décrit, parait-il, comme un petit bonhomme sec et nerveux et pas toujours commode.
Les années s’écoulant, au hasard des rencontres et des conversations avec de vieilles familles de la commune de Peyrilhac, j’obtenais d’autres détails. Jacques Ballot, de la Vergne-Jourde et Puy-Séru, se souvenait et avait transmis à sa famille, l’anecdote suivante :
« Dans un champ entre la Vergne-Jourde et Puy-Séru, lui et son frère moissonnaient du blé noir. Ils avaient entendu des chiens, une forte meute, cinq ou six cavaliers les accompagnaient et parmi eux, le Général Bardet.
Sans descendre de cheval, il leur avait demandé s’ils étaient là depuis longtemps et s’ils avaient vu l’animal de chasse, une louve déjà blessée. Les deux frères n’avaient rien vu. Ils décrivaient le Général comme petit, nerveux, habillé de bleu clair, il montait un cheval blanc ».
Une famille m’apprenait qu’un de leurs ancêtres allait en journée à Maison Rouge à la saison des foins. Son travail commençait à l’aube pour se terminer à la nuit. Deux servantes apportaient les repas sur place. Le Général payait ses journaliers chaque soir.
Un autre me racontant : « Le Général revenait d’Espagne ; arrivé au champ au-dessus de Peyrilhac, l’essieu d’un charriot
s’étant rompu, il avait fallu changer d’attelage. L’arrière-arrière-grand-père avait aidé au déchargement. C’était plein de jolies choses, disait-il ».
Telle autre famille disait que ses aïeux avaient pu devenir propriétaires grâce au Général Bardet qui leur avait prêté de l’argent, preuve à l’appui ; avec une grande franchise, l’on sortit d’un tiroir des quittances jaunies par le temps.
Elles portaient « Maison Rouge », la date et la signature du Général.
Les deux dernières réglant définitivement la dette portaient « Domaine de Chauüt », la date et la signature de Madame Geneviève Mallebay de Noussat, née Bardet.
Un ami et voisin, égrenant ses souvenirs sur la période de son service militaire qu’il avait effectué en 1935, au 27ème Régiment d’Infanterie à Dijon, me montra un petit livret que percevait chaque recrue.
C’était l’historique du régiment, avec les noms des batailles inscrites sur son drapeau et l’on pouvait lire ceci : « La veille de la bataille d’Ulm, le Colonel Bardet harangua ses hommes en ces termes : soldats, demain il nous faudra attaquer et tenir bon ».
« Attaquer et tenir bon »
devinrent par la suite la devise du Régiment.
Retenons bien ces mots, nous allons les retrouver. Il y a une trentaine d’années, lorsque je trainais mes bottes dans les forêts de Touraine, je me liais d’amitié avec un vieux veneur qui me prêta une brochure qui avait été imprimée à Poitiers en 1868, ayant pour titre : « Ceux qui ont chassé les loups », les auteurs étant les veneurs du Haut-Poitou. L’on y parlait de l’équipage de Diane de Châteaumorand de Vaulry, de l’équipage de Jacques de Larye de Saint-Bonnet-de-Bellac, guillotiné à Limoges, le 26 juin 1796.
A ma grande surprise, j’y découvris ce passage : « si un jour amis veneurs, vous êtes de passage à Peyrilhac, rendez-vous au domaine de Maison Rouge pour y saluer l’ombre de l’ancien propriétaire des lieux, le Lieutenant-Général Bardet, baron de l’Empire, parti depuis bien longtemps rejoindre les chasses éternelles de Saint Hubert. »
Ce maître d’équipage a laissé derrière lui le chenil muet où l’araignée tisse sa toile sur un vide obscur et triste. Cet équipage qui était servi par un valet de chiens et un piqueux surnommé – « Miquelet » – par le Général, avait pour devise : « Attaque et tiens bon ». Les trente saintongeois étaient découplés sur les loups.
Il est bien connu que dans la vénerie, les piqueurs appelés piqueux, portent tous un nom de chasse. L’on y retrouve, en principe, toujours les mêmes. Cela va de – La Brisée, Fanfare, Saute-au-Bois, Gratte-Mousse, l’Aramée… – » Miquelet », c’est autre chose. Le Larousse en 2 volumes nous dit, au sujet de cette appellation : « Volontaires espagnols recrutés parmi les habitants des Pyrénées ».
En 1808, la France organise des compagnies de « miquelets » français, composées en grande partie de roussillonnais qui furent opposés avec avantage aux « miquelets » espagnols.
« Attaque et tiens bon » devise du 27ème dont Bardet fut le colonel.
« Miquelet » peut-être en souvenir de la guerre d’Espagne, avouez que tout cela laisse songeur.
Nous savons que le Général vivait discret, se tenant à l’écart des mandats publics.
Le journaliste François Perot du Magenet, écrivait dans le Moniteur du 16 juillet 1845, huit ans après la mort du général :
« A la mémorable époque du 20 mai 1815, Bardet en toute hâte se rendait à Paris et accourut auprès de Napoléon qu’il appelait son chef de file. Napoléon en le voyant, lui dit :
« Et toi Bardet, qu’as-tu fait pendant mon absence ? »
Sa réponse fut :
« Sire, j’étais à ma campagne, j’y attendais vos ordres ».
Il se retira à nouveau à sa campagne définitivement avec le retour tant souhaité des bourbons.
Voilà ce que j’ai pu recueillir de-ci de-là en faisant confiance aux anciens.
En complément du texte précédent, nous vous proposons une autre communication de M. Couvidou, à propos du Général Bardet de Maison Rouge et de son équipage de chasse.
La chasse, passion du Général Bardet
Le général était fier de ses métairies, fier de son équipage de chasse et de ses succès d’éleveur, nous disent certains historiens.
Pour Parler de son équipage de chasse il faut faire confiance à ceux qui sont malheureusement morts mais qui ont laissé à leurs descendants ce qu’ils tenaient de leurs aïeux dont certains avaient servis chez notre compatriote, ou d’autres qui l’avaient vu chasser.
Chassant avec une trentaine de chiens, ce qui laisse supposer une cinquantaine d’autres au chenil en comptant la relève, cet équipage était servi par un piqueur aidé d’un valet de chiens.
Sa devise était « attaque et tient bon ».
Il faut avouer qu’il y avait quelque chose de militaire dans cette devise, mais avec un tel maître d’équipage ! …
Pour ma part je la trouve très belle.
Attaque… quand l’attaque est sèche et rapide l’animal ne feinte pas au départ, il est bousculé, surpris.
Tient bon… tenir bon sur la voie, tenir bon à la fatigue, tenir bon à l’hallali.
Il faut avoir entendu certains piqueux, quand l’animal est au ferme, crier le soir dans les sous-bois « tiens bon… Ravageot… tiens bon Roxane… tenez bon mes valets… » pour comprendre tout cela !
Avant la retraite le général avait dû mettre cette devise en pratique en d’autres circonstances moins pacifiques.
Cet équipage et son maître chassaient donc les loups, nombreux dans la région à cette époque, avec des chiens de Saintonge porteurs, parait-il, du sang des fameux « Larye » qui les faisait de redoutables chasseurs de loups.
Il est certains que le général Bardet connaissait l’efficacité de ces fameux chiens orgueils de toute la vénerie.
Comment avait-il pu se procurer une descendance ? Nous l’ignorons, mais essayons d’expliquer ce qu’étaient les Laryes.
Toutes les forêts du Limousin, du Poitou et d’ailleurs, connaissaient la meute réputée de Mr de Larye, habitant le manoir de la Berge, après le pont Saint-Martin, près de Saint-Bonnet-de-Bellac.
Jacques de Larye naquit en ce lieu en 1752 et embrassa très jeune le métier des armes, comme beaucoup de hobereaux.
Il entra au régiment des « chevaux légers » de la garde de Roi. Il parait qu’à Versailles il s’intéressait beaucoup plus au chenil du comte d’Artois (futur Charles X) qu’aux intrigues du jour : la passion de la chasse était la plus forte !
A force de persévérance, après s’être fait remarquer d’abord et mieux connaitre par la suite, il put se procurer un couple de chiens provenant des chenils du comte d’Artois, qu’il ramena à la Berge pour être joint à sa meute déjà existante.
Elevés avec une grande sollicitude, entre des mains expertes de grands chasseurs de père en fils, les deux bêtes avaient donné une progéniture racée et très bien employées.
A la dissolution du régiment des « chevaux légers » du Roi, Jacques de Larye se consacre à sa seule passion, la chasse. Ses exploits deviennent légendaires. Les chiens blancs de Jacques de Larye étaient capables de prendre leur cerf régulièrement en trois heures, leur louvart d’octobre en trois quart d’heure et de chasser leur vieux loup d’un soleil à l’autre.
Cela se passait avant la Révolution.
Bardet connaissait cela. Les bois d’Aveyeau n’étaient-ils pas le passage traditionnel et séculaire des loups allant des forêts de Rancon – Thouron – Veyrac et Brigueuil. Il est alors normal qu’il ait essayé de se procurer du sang de ces fameux chiens.
Revenons à leur propriétaire.
En 1791 la monarchie était vacillante depuis deux ans. La fuite manquée de Louis XVI à Varennes précipite les évènements. Les nobles de notre coin, pour la plupart anciens officiers, vont émigrer.
De Brettes habitant la Mothe, De Montauran, Martin de Nantiat, Martin de Compreignac, Sombreuil de Bonnac, Barthon du Queyroix de Peyrilhac, ainsi que Jacques de Larye qui, fidèle à la Royauté, abandonne tous ses biens dès l’été 1791, famille, terres et aussi son chenil mais non sans avoir dispersé sa meute chez ses métayers les plus sûrs et confié ses deux favoris à des amis : Figaro à M. de la Borderie et Matador à M. Pralong dans la Vienne. Ces deux mâles de garde-chasse couplés avec deux lices de « Ceris de Montamboeuf » produisirent une remarquable race, orgueil des veneurs limousins au XIXe siècle.
La même année Bardet de Maison Rouge s’inscrit sur la liste des volontaires de la Haute-Vienne.
En 1795, débarquement manqué de Quiberon.
M. de Boslinaud de Rancon, Barthon de Monbas de Bellac, Charles de Sombreuil de Bonnac la Côte, compagnons de Jacques de Larye sont fusillés à Vannes le 2 août 1795. Martial Baillot du Queyroix de Peyrilhac est mort la même année à l’armée de Conde et sa terre vendue comme bien d’émigré en 1794, moyennant 294.000 louis.
Bardet, lui, se distingue à la bataille de Spimont et à celle d’Aldenhoven en faisant traverser l’eau au pas de charge par le 1er bataillon de volontaires de la Haute-Vienne.
En 1796, Jacques de Larye pris de nostalgie revient en France. Refoulé une première fois à Dunkerque, arrêté aux environs de Guéret sous le déguisement d’un colporteur, jugé à Limoges le 8 Messidor An IV de la république une et indivisible (26 juin 1796). Malgré le témoignage de cinquante habitants de la région de Bellac venus dire au tribunal que le seul souci de cet homme était, avant la Révolution, de débarrasser les campagnes des loups malfaisants, il monta le jour même la rue « monte-à-regret » où l’attendait en haut le couperet de la guillotine.
Les loups qui pullulaient en ces temps troublés par la force des choses, auraient sans doute hurlés de joie si la nouvelle de cette mort avait pu parvenir jusqu’à eux dans les profondeurs des halliers.
Après les explications sur les fameux Laryes, revenons à Maison Rouge où l’équipage est installé.
Nous connaissons sa devise et d’après les anciens son insigne était une trompe de chasse avec à l’intérieur une tête de loup de face, le tout traversé d’une dague. Les boutons de la tenue de l’équipage portaient-ils ce dessin, nous l’ignorons.
Jacques Ballot de la Verge-Jourde se souvenait et avait transmis à sa famille l’anecdote suivante :
« Vers 1820, dans un champ entre la verge-Jourde et le Mas du Bost, nous allions couper le blé noir. A peine arrivés sur place nous avons entendu les chiens, environ une vingtaine, cinq ou six cavaliers les accompagnaient et parmi eux le général Bardet.
Sans descendre de cheval il leur avait demandé s’ils étaient là depuis longtemps et s’ils avaient vu l’animal de chasse, une louve déjà blessée.
Jacques Ballot et les siens n’avaient rien vu. L’animal devait avoir une certaine avance sur les chiens. Il décrivait le général, petit, nerveux, habillé de bleu clair ainsi que ses compagnons. Il montait un cheval blanc. »
Léonard Couvidou, du Mas du Bost, volontaire de la République en 1792, vétéran des guerres de la Révolution et de l’Empire, titulaire de la médaille de St-Hélène, inscrit à la Grande Chancellerie sous le n°108910, avait un fil appelé Léonard, comme son père. Il se souvenait lui aussi et avait transmis à sa famille une anecdote :
« On ramassait la feuille (le litière) pour les bêtes. Le général rentrait de la chasse avec son équipage, c’était « au magaudes ». Le piqueur avait un énorme loup en travers de la selle. Ayant reconnu mon père, le général avait mis pied à terre. Ils avaient « siné » (prisé) ensemble et il avait dit en patois « Fâ magna quello vauro bétio à toun pitit Lionar. Au né minjoro pu d’oveilla queuqui ! »
Et Léonard Couvidou se souvenait avoir touché le loup. Le général lui laissait comme dernière vision, celle d’un homme petit, assez alerte malgré son âge car il avait remarqué qu’il s’était remis en selle assez lestement, habillé de bleu clair, un cheval blanc…
Parlons des loups que chassait Bardet.
En consultant les archives, le dernier tué en Haute-Vienne a été abattu à la Jonchère en 1914. Certains de nos grands parents se souviennent qu’en janvier 1900 une louve tuée à Saint-Jouvent fut présentée aux écoles de Peyrilhac et de Conore.
Entre 1792 et 1815, la plus dure époque des guerres de la Révolution et de l’Empire pendant que les hommes étaient sous les armes, laissant en paix les bêtes fauves, les loups se chargeaient de la destruction des renards dont le nombre diminuait à mesure qu’augmentait celui des Ysengrins.
En 1795 (loi du 11 Ventôse An III de la République) le montant des primes était le suivant :
- 300 francs or pour une louve pleine
- 250 ……………………………………. non pleine
- 200 …………… pour un loup de plus de 3 ans
- 100 …………… pour un louveteau
La loi du 10 Messidor An V de la République ramena les primes à :
- 50 francs or par louve
- 40 ……………. par loup
- 20 ……………. Par louveteau
Ces primes diminuées à nouveau sous l’Empire furent augmentées après 1815 et sous la Restauration. En 1825 la prime était seulement de 15 francs or pour un loup mâle et adulte.
Il est certain que les loups ne manquaient pas et que notre compatriote devait en attaquer souvent. Comment les chassait-il ? Probablement comme tous les veneurs de cette époque :
On sait très bien qu’un loup adulte est quasiment imprenable. L’endurance, la robustesse de ce fauve est supérieure à celle des grands chiens de meute. On chassait alors l’animal une heure ou deux ou même plus et au moment où il faisait battre dans les fourrés, l’équipage mettait pied à terre, cernait l’enceinte et servait le loup au fusil.
Seuls les louvards étaient vraiment pris par les chiens assez rapidement et étranglés par ceux-ci.
Il parait que nos laboureurs du coin qui apportaient des renseignements de chasse à Maison Rouge étaient les bienvenus et que l’accueil était chaleureux.
La légende rapporte que les indicateurs revenant de Maison Rouge ramenaient souvent ce que l’on appelle encore « lo cati ».
Le maître d’équipage avait peut-être la main lourde quand il servait à boire !!!