Le premier comice du canton de Nieul

Voici la quasi intégralité des discours du 1er comice agricole de Nieul 1835. (Bulletin de la société d’agriculture de 1835).

Les agriculteurs de Nieul, depuis l’établissement du comice, ont déployé un zèle et une activité au-dessus de tout éloge… Ils n’ont été retenus par aucune difficulté ; ils se sont au contraire armés de courage et de persévérance contre les obstacles que pouvaient leur opposer un sol léger et une température que le voisinage des montagnes rend encore plus inégale que dans d’autres localités du département. Il est vrai que de grands propriétaires se sont mis à la tête du mouvement agronomique, et qu’ils n’ont pas craint de faire de très grands sacrifices pour opérer une réforme que tous les bons esprits appelaient de leurs vœux depuis longtemps.
[…]
Il nous semble que cette bienveillance des personnes aisées envers les classes peu favorisées de la fortune, se remarque assez généralement sur tous les points de la France ; et c’est une des observations les plus dignes d’être signalées comme la preuve d’un perfectionnement notable dans notre civilisation.

Cette impression nous est restée du spectacle qu’offrait, il y a peu de jours, la touchante solennité qui avait attiré un grand concours dans le chef-lieu du canton de Nieul. A cette fête étaient accourus, de tous les points du département, non seulement des agriculteurs, mais encore des citoyens pleins d’intérêts pour la prospérité publique.

M. le Préfet, M. le Maire de Limoges, propriétaire dans le canton, président du comice, ajoutaient encore, par leur présence, à l’éclat de la cérémonie, et venaient donner, par le poids et la bienveillance de leur parole, un plus haut prix aux couronnes qu’ils allaient distribuer. Par une circonstance du plus heureux à-propos, la réunion avait été convoquée dans un édifice rural d’une grandeur imposante et d’une ingénieuse distribution, que M. Auguste du Boucheron vient de faire construire à grands frais, et dont il devait faire ce jour même une sorte d’inauguration.

Cette grange était revêtue de feuillages, et ornée d’inscription, qui toutes rappelaient les avantages de l’agriculture sous le double rapport du bien-être physique et moral des sociétés. On conçoit tout ce qu’un lieu pareil, rempli d’une population avide de jouir d’un spectacle tout nouveau pour elle, pouvait permettre d’émotions douces et de véritables jouissances.

M. le Président, ayant déclaré la séance ouverte, a dit :

Monsieur le Préfet,

Le comice agricole se trouve honoré de procéder sous votre patronage à la distribution des primes destinées à l’encouragement de l’agriculture. Ces primes, dont les fonds ont été faits par le gouvernement et le Conseil Général du département, témoignent hautement du puissant intérêt que portent au premier des arts et le chef de l’état et les représentants de nos cantons.

Réparties aujourd’hui entre les colons cultivant par eux-mêmes, ces primes deviennent le véhicule le plus puissant pour atteindre le but que se propose l’institution des comices, celui de faire descendre la science jusqu’au plus petit cultivateur.

Des hommes réunis en association volontaire, et pratiquant eux-mêmes l’art honorable et difficile de la culture, m’ont fait leur interprète pour vous remercier de ce que vous avez bien voulu, M. le Préfet, vous rendre à nos vœux, en venant assister, en ce jour solennel pour nous, à la première fête agricole du pays, dont Nieul conservera le doux souvenir. Et pour que nous puissions, au besoin, trouver dans ce souvenir quelque autre gage heureux de notre prospérité future, le comice a désiré vous recevoir sous le toit de cette belle grange. Nous en faisons aujourd’hui l’inauguration. Puisse son avenir répondre aux futures espérances.

(…) Vous trouverez toujours chez nous des hommes accoutumés, dès leurs jeunes années, aux plus dures privations, qui , également aptes à diriger la charrue ou à manier les armes, apportent, dans les diverses chances de la guerre, les brillantes qualités qui constituent le bon soldat, et rapportent à leurs pénates, pour en jouir en paix, le titre encore plus beau de soldat laboureur.

De ces deux conditions, que l’homme chérit, la guerre et l’agriculture, l’une parvenue dès longtemps chez nous à son apogée, se repose et s’endort ; l’autre encore dans l’enfance, est appelée enfin à se régénérer, et à puiser une nouvelle vie dans la belle institution de nos comices, dont peut-être nous saluons aujourd’hui l’aurore.

Plein de zèle pour accomplir notre mission volontaire, nous avons eu cependant besoin de trouver en vous, M. le Préfet, un juste appréciateur de nos essais, un protecteur éclairé de nos travaux.

Après cette allocation…, M. le Préfet a pris la parole en ces termes :

Messieurs,

[…]

Les idées que cette fête rappelle, et cette fête elle-même, prouvent que, même sous le rapport agricole, le seul peut-être où il soit en retard, le Limousin marche d’un pas tel qu’il doit rivaliser bientôt avec les contrées les plus avancées. Grâce à la perfection des méthodes, grâce au zèle et aux sacrifices de beaucoup de ceux qui m’entendent, d’immenses progrès ont été faits. Par les soins de l’agronome distingué qui nous donne aujourd’hui l’hospitalité (M. de la Saigne du Boucheron), le houblon, cet enfant des grasses terres du nord, est venu lancer sur nos rochers ses tiges légères et ses grappes élégantes. Un homme qui ne borne pas à l’art de guérir les services qu’il rend à l’humanité a converti la betterave en sucre, et un autre, cultivant à la fois les lettres et la vigne, fait d’abondantes vendanges sur les coteaux d’Aixe. La bière que nous ferons avec nos houblons sers peut-être différente de celle que boivent le Belge et l’Anglais car on dit que l’air et l’eau sont des éléments constitutifs de sa qualité ; mais enfin nous aurons de la bière. Le sucre sera moins abondant, et plus cher qu’aux Antilles ; mais enfin nous aurons du sucre. Le vin d’Aixe ne fera pas oublier l’Antique Falerne, que nous louons de confiance, et l’Aï, que nous vantons avec plus de certitude ; mais enfin nous aurons du vin.

Grâce au précieux tubercule qu’a propagé notre Turgot, grâce au fruit savoureux produit par l’oranger limousin, qui fait la providence de la table du pauvre et l’agrément des festins du riche, la disette est désormais impossible dans ce pays ; et, quand on remarquera que le plus atroce, le plus dévorateur des fléaux modernes, vient pour la troisième fois de reculer devant nos plateaux granitiques, on comprendra qu’un pays qui peut ainsi se suffire à lui-même, et qui brave impunément un mal qui a fait trembler le monde, excite un vif amour chez ses enfants, et toute la sollicitude, je dirai même toute la tendresse de ceux qui sont appelés à l’administrer.
[…]
Si, dans cette causerie trop longue peut-être, je me suis laissé aller au plaisir de parler du pays devant une partie de ses habitants les plus notables, c’est que je suis en quelque sorte devenu un de ses enfants au moins par l’affection que je lui porte. Là où l’on est bien, là est, dit-on, la patrie…

M. le président a repris la parole, et a dit :

Messieurs,

Depuis le moment où vous m’avez fait l’honneur de m’appeler à la présidence du comice de ce canton, je n’avais pas encore trouvé l’occasion de vous en témoigner publiquement ma vive reconnaissance. Cette flatteuse distinction, dont vous avez voulu récompenser sans doute quelques essais que j’ai tenté pour l’amélioration de nos ressources agricoles, a doublé pour moi le prix attaché à cette faveur.

Un comice que le zèle éclairé de nos propriétaires a formé spontanément dans un des plus petits et des plus pauvres cantons ; où chacun de vous vient mettre en commun son expérience, son activité, ses réflexions, ses projets, le résultat bon ou mauvais de ses tentatives ; ce comice, dis-je, doit gagner peu à peu la confiance des cultivateurs. A cette première condition est attachée, pour ainsi dire, sa nouvelle existence.

Autour de ce premier résultat obtenu viendront se grouper la puissance des bons exemples à mettre en crédit, les efforts tendant à détruire des préjugés nuisibles, la bonne direction à donner aux expériences, l’émulation des concours, le spectacle de la distribution des primes accordées à ceux qui s’ennobliront dans la lutte.
[…]
Ce ne serait pas à des cultivateurs qu’il faudrait rappeler cet axiome commun, qui les frappe tous les jours : Plus les mauvaises herbes ont enfoncé leurs racines dans le sol, plus il faut, pour leur extirpation, le labourer souvent : ainsi, plus la routine aurait germé profondément, plus il faudrait de temps et d’efforts pour la subjuguer. Nouveau Protée, il ne faudrait cesser de l’attaquer sous toutes ses transformations.

Ici Messieurs, je dois vous dire, pour expliquer ma pensée, qu’il y a deux excès à éviter : la prétention des cultivateurs théoriciens qui disent que tout à créer chez nous sous le rapport de l’agriculture, et celle des cultivateurs pratiques qui disent qu’il n’y a rien à changer aux usages reçus.

Ne remarquez-vous pas déjà, Messieurs, sur quelques points de notre canton, comme des jalons plantés ça et là qui vous indiquent soit un essai à suivre, soit une amélioration à constater, soit une faute à éviter ? Hommage donc aux bonnes intentions ; encouragements aux essais ; récompense aux plus heureux résultats !
[…]