Des études médiévales récentes ont mis l’accent sur l’importance de la notion d’honneur pour l’ensemble de la société de la fin du Moyen-Age. Elles se sont appuyées sur le vocabulaire de la notoriété et de l’honneur dans les sources publiques, écrites pour être connues des autres depuis les chroniques jusqu’aux « grosses » de notaires en passant par les sources administratives et judiciaires.Une sorte de code hiérarchisé de politesses apparaît alors. Il reconnaît à chacun sa place dans la société.
Ces formules stéréotypées d’honneur et de respect se développent à la fin du Moyen-Age, avant et après le prénom et le patronyme, ce sont des « avant-corps ». Tous les documents publics possèdent ces formules de reconnaissance sociale. En ce qui concerne les livres de raison, vue leur caractère secret et familial, des libertés sont prises.
Selon les différentes études, les historiens s’accordent sur le fait que l’ensemble des rédacteurs connaissent les formules d’usage. Ils choisissent ou non de les appliquer. Les seuls personnages à ne pas en bénéficier sont les paysans. Ils ne sont identifiés que par leur lieu de résidence et leur paroisse. Tout comme les artisans qui sont mentionnés par leur métier.
Les « bourgeois et marchands », la double désignation domine dans les livres de raison et la distinction rarement faite, voient leur nom et prénom munis d’un avant-corps latin, « honestus », « providus vir », des formules apparemment interchangeables. Elles sont traduites en français par « honorable », « sage », « prudent », « honnête homme ». « Maître » est un mot clé. Il est associé à « licencié en droit », « licencié en médecine », parfois aussi au statut de théologien. Il appuie la position sociale.
Psaumet Péconnet parle avec respect de « moss. Mestre Marti Balestrier, licenciat en médecine ».Plus loin il mentionne « Mestre Anthoni Thibort, licenciat en médecine » et son cousin « moss. Mestre Pierre Pradhelo, licenciat en leys« .
« nobilis vir et noble » semblent être réservés aux aristocrates. « domunis », « seigneur » et leurs prestigieux dérivés, de « monsieur » à « monseigneur » sont accolés tant à certains noms de bourgeois qu’aux noms des aristocrates et des chanoines, des évêques , des abbés et des cardinaux.
Les femmes ne bénéficient pas systématiquement des termes d’honneur et sont généralement dans l’ombre de leurs époux (« domphna », « dame » ou « demoiselle »).
Si les rédacteurs connaissent ces termes, ils ne les utilisent pas systématiquement pour autant. Ils choisissent qui ils veulent honorer ou pas…ils sont libres de leur écrit puisque le livre de raison est affaire de famille.
Psaumet Péconnet a épousé « la Mathive Beynech ». Il a dressé la liste des participants et commence par « mon mestre, mestre Etienne Parot, notari de Limoges », une répétition de « mestre » qui redouble de révérence. La suite des donateurs est moins prestigieuse car elle n’est composée que de « cousins » simples notables d’un bourg rural.
En ce qui concerne les actes notariés, le chef de famille demandait généralement au notaire de les rédiger eux-mêmes sur le livre de raison. Ainsi les formules qui leur sont dues sont réduites au maximum, comme dans les minutes de leurs propres registres, réservant les formules traditionnelles à la « grosse » destinée au client. Le nom des témoins est très inégalement précédé ou suivi d’une mention de notoriété qu’implique leur état. Les chefs de familles sont plus respectueux des titres, car ils s’appuient généralement sur la grosse pour les retranscrire dans leur livre de raison.
Enfin, en ce qui concerne la mémoire des morts de la famille, les formules d’honorabilité sont bien plus présentes.
Jean Tricard, Livres de raison, chroniques, terriers…les passions d’un médiéviste, éd. Pulim, 2007, pages 229 à 241.