Nous n’allons pas donner de façon chronologique la liste complète de ses activités, mais simplement citer quelques exemples.
Nos Limousins sont déjà forts avertis des problèmes agronomiques. Ce sont de vrais « cultivateurs physiciens » tels qu’ils sont souhaités par le mouvement nouveau, nous dit l’auteur du mémoire, même s’ils n’ont pas fait -Montaigne excepté- de véritables études scientifiques. « Et tous sont animés de l’immense curiosité des hommes du XVIII« .
Tout au long des années d’existence de la Société, ils ne vont cesser de s’intéresser aux ouvrages qui viennent de paraître, en particulier à ceux de Duhamel du Monceau. Ce n’est pas sans esprit critique qu’ils abordent l’étude des théories nouvelles.
Afin de permettre une amélioration des méthodes employées en agriculture, des modèles sont proposés à toutes les Sociétés, modèles établis à l’origine pour l’Ile de France. Les associés de Limoges sont intimement persuadés qu’ils ne peuvent être appliqués sans certaines modifications, adaptées aux besoins de notre région. Cette idée force, nous la retrouverons présente encore 30 ans plus tard.
L’on connaît le goût pour les enquêtes des Sociétés savantes de l’époque.
C’est ainsi qu’un questionnaire sur l’agriculture, donné en exemple, a été préparé pour la Généralité de Paris. Goudin de Laborderie a été chargé de l’adapter pour celle de Limoges. Quelques mois avant l’arrivée de Turgot, les associés décident d’attendre l’accord du nouvel intendant pour e faire imprimer. Mais les « questions sur les principaux objets de l’agriculture dans la Généralité de Limoges » ne paraîtront que 17 ans plus tard, quatre ans après l’arrivée de l’intendant d’Aine.
Voici quelques uns des tout premiers sujets proposés à l’étude des Sociétaires.
– « Chercher les méthodes de labourer les différentes espèces de terrain »
– Rectifier ce qu’on trouvera de défectueux dans les instruments dont on se sert… »
– (Etudier) « les différentes préparations que l’on peut donner aux grains pour les tenir sains en terre »
– « Les boeufs étant dans cette Province d’une ressource infinie : à cause des engrais parce que c’est le seul animal que l’on employe aux labours et aux charrois et dont la vente fasse entrer de l’argent dans la Généralité, la Société s’en occupera singulièrement :…la manière de l’engraisser…, ses maladies…, elle ne négligera point les autres Bestiaux ».
– Chercher les moyens de multiplier les engrais de toutes espèce et de former des prairies artificielles.
– Pousser les recherches dans les haras…
Une place importante est aussi réservée aux pépinières.
Chaque associé devant réaliser les expériences décidées en assemblée au temps de Pajot de Marcheval, c’est avec plus ou moins de bonheur qu’elle se déroulent.
La création de prairies artificielles semble avoir entraîné une grande activité. Et, M. de Saint Laurent est enthousiaste lui qui, devant le succès remporté et l’augmentation consécutive de son cheptel, a dû construire de nouvelles étables !… Ailleurs « les bêtes à cornes ont mangé l’herbe avec avidité et les vaches ont donné plus de lait ».
L’essai des instruments aratoires par contre ne donne pas souvent satisfaction, que ceux-ci viennent d’autres provinces ou qu’ils sortent de fabrication locale comme la machine à battre le blé. Réalisée dans l’une des salles de l’abbaye de St Martial, elle est critiquée pour :
– la lenteur dans les mouvements.
– des frottements assez violents qui font craindre une trop petite durée.
– la difficulté de déplacement.
– son prix élevé.
Conclusion : elle ne peut servir que dans les pays de grande culture.
Même désillusion pour une grande charrue. Par contre, un vannoir, construit dans la région, peut vanner plus de 200 setiers par jour ce qui satisfait les désirs de son propriétaire.
Nos expérimentateurs « concoctent » de nombreux mélanges afin de fertiliser leurs terres dont ils connaissent la pauvreté. Par exemple :
2 quartes de semence + 1 quarte de sel ou le mélange des terres.
La tourbe, voire le kaolin, sont essayés comme engrais.
En mettant au fond d’une fosse : un lit de gazon d’un pouce d’épaisseur, +un lit de chaux et en continuant ainsi, une fermentation se produit et l’on obtient un fumier artificiel.
Citons encore parmi les très nombreux sujets mis à l’étude, au hasard :
– faut-il sortir ou ne pas sortir les boeufs l’hiver ?
– quels remèdes à la maladie du charbon ?
– comparaison des boeufs et des chevaux pour les travaux agricoles.
– défauts et qualités de la pomme de terre (Parmentier l’aurait vue pour la première fois en Limousin) « manger à cochons« , elle n’a pas bonne presse. L’un des membres ayant nourri deux de ses porcs avec « 20 sacs de patates, bien préparées avec du son, non seulement ils n’ont pas profité, mais il y a même lieu de soupçonner que cette pâture leur aurait rétréci les boyaux… ».
– questions météorologiques.
– nécessité de l’uniformité des mesures. Cette question revient à plusieurs reprises.
Nos « cultivateurs zélés » sont des philanthropes qui n’excluent pas, de leurs préoccupations, les sujets intéressants les plus humbles des paysans. Ainsi vont-ils s’occuper des abeilles et de leurs ruches ou encore de l’orseille dont il sera question ultérieurement.
Ils pensent « qu’il n’en vaudrait que mieux pour l’agriculture que chaque paysan sut lire, écrire et chiffrer : mais…dans l’état où sont les choses, toux ceux qui sont dans ce cas sont autant de sujets perdus pour l’agriculture et…ils deviennent records, sergents, huissiers, gardes des fermes, notaires, etc…« .
Se penchant sur le cas des enfants trouvés ils ont pu constater que sur 67 remis à la campagne 7 sont morts en bas âge. Pour la même période, sur les 75 remis à l’hôpital 50 sont morts en bas âge et aucun n’atteint l’âge de 20 ans en raison des « travaux forcés » auxquels ils sont soumis à l’hôpital. Ils pensent, à l’image de Bertin, que tous ces enfants pourraient être éduqués à la campagne pour en
faire des laboureurs, mais ils ne souhaitent pas les confier à la colonie agricole que celui-ci a imaginée.
Voici enfin l’exemple d’une totale réussite de l’un des projets de la Société.
Dans les années 1770, elle souhaite obtenir, au cours des 18 années qui viennent, 100 000 plants d’arbres dans les pépinières.
Second de Coyol, devenu membre en 1775, annonce qu’il possède 90 000 plants de chênes, châtaigniers et pins.
Jacques Joseph Juge de Saint Martin, de 30 ans le cadet de Martial de Lépine, a commencé, au début des années 70, ses différentes expériences. Elève de Duhamel du Monceau et son admirateur passionné, il est bien dans l’esprit de la Société de Limoges et compare ses résultats à ceux de Duhamel.
Membre correspondant de plusieurs Sociétés d’agriculture, plus tard président de celle de la Haute-Vienne, il commente, avec une économie de moyens digne du Bureau de Limoges, les résultats obtenus, dans un premier livre : Traité de la culture du chêne, paru en 1788.
Cet ouvrage…lui donna une si grande réputation que la Société (de Paris) dans les observations qu’elle fit sur l’aménagement des bois de l’Etat, crut devoir appuyer ses opinions de (?) l’autorité de M. Juge qu’elle opposa à celle du célèbre Duhamel.
Au début de la Révolution, ce ne sont pas 100 000 plants dont disposait notre région mais, grâce à lui, un million constitué d’espèces variées (chênes, châtaigniers, hêtres, frênes, bouleaux, peupliers, platanes, tilleuls, pêchers, pruniers, poiriers, néfliers, lilas, jasmins, rosiers…)
Sources :
Bulletins de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Haute-Vienne, 1882 à 1910.
La Société d’Agriculture de Limoges, 1759-1785, par Parot J.C., Mémoire du diplôme d’études supérieures, Poitiers, 1964.
Annales de la Haute-Vienne, années 1834-1839.
Courrier agricole et commercial, années 1897-1906.
Congrès de l’agriculture limousine du bicentenaire, société d’agriculture de la Haute-Vienne, 3-11 octobre 1959.
Histoire de la France rurale, tome 3 : Apogée et crise de la civilisation paysanne, par Agulhon Maurice.
De l’enseignement agricole au savoir vert, par Boulet Michel, Paris, 1991.
Naissance d’une agriculture nouvelle dans le canton de Nieul, par Mémoire du canton de Nieul, 1996.