Une anse d’amphore estampillée, provenant de l’île de Rhodes
Découverte à Saint-Gence (Haute-Vienne) par Jean-Pierre LOUSTAUD,
Avec la collaboration de Jean-Pierre CARIGIET, Jean-Yves EMPEREUR, André TCHERNIA
Au cours de terrassements réalisés en 1984 au village de Saint-Gence, sur une parcelle appartenant à Mme Alphonsout, dans un lotissement riverain de la route de La Celle, un certain nombre de tessons d’amphores étaient mis au jour, à une profondeur de – 1m à – 1,20m. De telles découvertes sont fréquentes dans le sous-sol du bourg lui-même et ses environs, au pied de l’enceinteprotohistorique dénommée « Camp de César », située à la confluence de la Glane et d’un ruisseau affluent. Mais jusqu’à présent les amphores retrouvées, entières ou fragmentées, datables du IIe s. ou du début du 1er s. av. J.-C. traduisaient une provenance italique. Or, le tesson qui fait l’objet de cette étude induit une relation commerciale quelque peu inattendue puisqu’il s’agit d’une anse estampillée appartenant à une amphore de l’île de Rhodes.
L’anse dont il ne subsiste que la partie supérieure avec l’amorce de la soudure sur le col del’amphore, est de section ovale légèrement chanfreinée. La pâte très fine, de teinte beige rosé, est recouverte d’un engobe jaune clair en partie disparu sur les reliefs. Au niveau du départ de l’anse, le col avait un diamètre intérieur voisin de 0,12 m.
Le timbre occupe la partie médiane de l’anse, mais a été apposé en biais ; l’inscription, établie sur trois lignes, est altérée dans sa partie supérieure : elle peut être cependant partiellement déchiffrée (1)… soit « sous l’éponyme du prêtre Hélios (…)ocratès, mois de Hyakinthios »… Toute identification sûre de la matrice et donc toute attribution à Autocratès n’est pas possible
Par l’intermédiaire de M. André TCHERNIA, une photo et un frottis de cette estampille ont été communiqués à M. Jean-Yves EMPEREUR, secrétaire général de l’Ecole Française d’Archéologie d’Athènes, qui a bien voulu se charger de l’identification. Que tous deux trouvent ici l’expression de nos vifs remerciements
S’il s’agit bien de cet éponyme, nous avons une indication chronologique assez précise puisqu’il est mentionné dans une inscription de Ténos datant de la troisième guerre de Macédoine ce qui a permis à M. R. Etienne de le dater des années 175 à 168-166 av. J.-C. l’on peut même par le jeu des matrices affiner cette date et la ramener à la fourchette -171 – 168.
(…) Quant à l’aire de diffusion, elle comprend tout le bassin méditerranéen oriental (depuis Rhodesjusqu’à l’Egypte. Athènes, Délos…etc.), et cela en des dizaines d’exemplaires. Il serait souhaitable que se trouve un jour un autre exemplaire d’un timbre sortant de la même matrice et de pouvoir l’attribuer à un fabricant précis.
Par quels cheminements commerciaux combinant navigation et partage par voie de terre, cetteamphore à vin de la lointaine île de Rhodes avait-elle pu terminer son périple sur le territoire desLémovices au second âge du fer ? La nature et l’origine d’une partie des autres amphoresdécouvertes sur le site pourraient suggérer que cette dernière avait préalablement transité par les anciens comptoirs grecs de la côte tyrrhénienne avant d’être jointe à un chargement de vinscampaniens en partance pour la Gaule du sud. Et plus précisément sans doute vers le territoire des anciens Elisyques…, dont la capitale Narbo connaissait au IIe siècle av. J.-C. une intense activité commerciale. Activité orientée à la fois vers les territoires ibériques et campaniens pour le commerce des vins et vers la Bretagne pour le commerce des métaux.
Une étude a mis en évidence l’existence d’un très ancien itinéraire, véritable route des métaux qui, entre Narbonnaise et Armorique, traversait l’espace Lémovice lui-même riche en étain, et passait à moins de 25 km de Saint-Gence. Le négoce des vins, en ce IIe siècle avant notre ère, a pu suivre un pareil parcours, et les caravanes acheminant à l’aller les lourdes amphores vinaires gréco-italiques, pouvaient ramener au retour vers la région de Narbonne, les chargements de métaux indispensables au monde méditerranéen. Saint-Gence qui se trouvait dans la mouvance de ce couloir commercial… a su bénéficier sans doute de ce double échange.
Fosse funéraire Augustéenne
Par Jean PERRIER
Avec la collaboration de Jean MARQUAIRE
CIRCONSTANCES DE LA DECOUVERTE
Le 9 juin 1983. M. Michel THEILLET, agent municipal à Saint-Gence nettoyait à la pelleteuse la partie haute d’une parcelle, propriété communale, pour préparer l’empierrement du terrain en vue de l’établissement d’une aire plane et saine pour le lavage de l’autocar scolaire. M. THEILLET raclait le sol en nature de prairie sur une profondeur de 0,15 à 0,25 mètre, dont 0,15 mètre d’humus environ. Il remarqua sous les griffes de la pelleteuse des tessons mélangés à de la terre noire. Il en fit part à notre confrère M. Jean ROCHE, qui ramassa les tessons les plus remarquables et signala leur découverte à Mlle Madeleine MARCHEIX, Conservateur du Musée Municipal de Limoges. Celle-ci se rendit avec nous le 11 juin sur les lieux de la découverte. M. ROCHE nous y remit les tessons qu’il avait recueillis.
EMPLACEMENT DE LA DECOUVERTE
Les vestiges étaient apparus dans l’angle nord-est du carrefour des routes de Nieul (CD 28) et dePeyrilhac (CD 128), à 10 mètres au nord de la route de Nieul. L’église de Saint-Gence dont le patron était jadis Saint Hilaire (2), s’élève dans l’angle opposé de ce carrefour, c’est-à-dire au sud-ouest, à une soixantaine de mètres de l’emplacement de la découverte. Le terrain est situé à l’articulation inférieure d’un replat orienté au nord-est.
FOUILLE
La fouille de sauvetage a été réalisée du 14 au 21 juin 1983. Grâce au repérage de MM. ROCHE ET THEILLET, elle a conduit aussitôt au dégagement d’une fosse jadis creusée en tranchée dans le tuf friable (roche arénisée) ; la longueur conservée est de 10 mètres. La largeur du fond plat atteint 0,35 mètre, celle du sommet évasé 1 mètre au maximum ; la profondeur conservée est de 1,10 mètre au point le plus bas. Cette fosse était comblée par une terre noirâtre contenant un abondant mobilier gallo-romain, et quelques pierres volumineuses, elle est orientée est-ouest.
LE MOBILIER DECOUVERT DANS CETTE FOSSE FUNERAIRE
En juin 1983
Le mobilier, réparti sur toute la longueur et la profondeur de la fosse comprenait le matériel suivant :
CERAMIQUE
Malgré la fouille exhaustive, aucun vase n’a été retrouvé complet, ce qui témoigne de bris intentionnels avec jet d’une partie seulement des tessons dans la fosse. Plusieurs tessons de ces bris avant contact avec le feu ont été observés. Des tessons brûlés se raccordent à d’autres qui ne le sont pas, des cendres adhèrent à la tranche de certains tessons…
CERAMIQUE SIGILLEE
Tous les tessons sigillés, au nombre de plus d’une centaine appartiennent à la vaisselle lisse italique rouge…
AUTRE MOBILIER : présenté ici sous forme de liste ?
Gobelets, amphores (tessons), vases à paroi mince, couvercles, tripodes, assiettes, plats à engoberouge pompéien, coupes, cruches, pichets, flacons, grands vases ovoïdes, céramique indigène non tournée, décors de tradition gauloise, décors à la molette,
Lampes, fusaïoles, verrerie, pierres, ossements, fer, monnaies, bronze dont une fibule : figuration en ronde-bosse d’un lion bondissant (long. : 0,021 m ; haut. : 0,015 m).
C’est l’élément décoratif, tenant lieu d’arc, d’une fibule zoomorphe. Les pattes postérieures prennent appui sur le couvre-ressort d’où partait l’ardillon. Les pattes antérieures soutenaient le porte-aiguille. L’arrière-train est réduit, la taille très étroite, l’épaisse crinière figurée par des stries parallèles. Les yeux sont représentés par deux petites cavités qui ont peut-être contenu à l’origine de petites perles de verre ( ?).
MONNAIE : monnaie gauloise d’argent : A/fruste ; R/ cheval libre à gauche dont la crinière est figurée par une ligne de grènetis ; au-dessus, tête humaine de profil à gauche, inclinée, regardant le dos du cheval, un annelet conservé en partie. Forte altération ; les bords sont très usés. Type BN4561, variante Ad… Monnaie gauloise d’argent : A/ tête à droite. ; R/cheval libre à gauche. , unannelet entre les jambes, motif indistinct au-dessus du cheval, à la suite de la corrosion du bord de la pièce, qu’une oxydation de couleur violette recouvrait lors de sa mise au jour.
La figuration du cheval de revers est la même pour ces deux monnaies, certainement du même typeBN 4561, variante Ad, attribuée aux Lemovices.
CONCLUSION
Le foyer, les cendres, les débris d’ossements humains incinérés, les clous nombreux, le bris intentionnel de la céramique, les offrandes (bijoux, monnaies), montrent que nous sommes abondamment en présence d’un aménagement funéraire, mais d’un type inconnu en Haute-Vienne à l’époque de sa découverte en 1983. Cettelongue tranchée rappelle par de nombreux détails les deux fosses creusées elles aussi directement dans le sol à l’intérieur de la nécropole des Bolards à Nuits- Saint-Georges (Côte d’Or) : aspect et dimensions comparables, terre noire, amas de pierres, clous en fer orientés dans toutes les directions, grande quantité de tessons de céramique et de verrerie, etc. Les auteurs de la fouille de la nécropole des Bolard, tout en précisant la difficulté de préciser l’utilisation de ces fosses, avaient émis l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’ustrina où se sont déroulées les incinérations du cimetière. Une partie du mobilier a été en contact avec le feu, les clous permettaient de supposer l’existence de civières pour porter le mort sur le bûcher. A Saint-Gence, en effet, les clous sont surtout concentrés à l’extrémité orientale, à proximité immédiate du foyer. Le lieu aurait ainsi servi à la crémation, et rappellerait certaines traditions pré-romaines.
FIBULES : épingles ou fermoir de métal qui servait à agrafer les vêtements.
Fibule trouvée à Saint-Gence. Agrandissement.
Quelques formes de fibules animalières.
Dans l’hypothèse d’un ustrinum, les sépultures seraient à rechercher à faible distance. Si elles sont absentes, la fosse devrait alors être considérée comme une sépulture en elle-même.
La concordance chronologique des objets bien datables (sigillée italique, gobelet d’Aco, plats àengobe rouge pompéien, coupes Santrot 172 et 175, fibule léontomorphe, monnaies gauloises, dont la circulation s’est prolongée jusque sous Auguste, premières monnaies impériales, etc…) permet de dater à coup sûr l’utilisation de cetet fosse de la fin du règne d’Augute, probablement aux alentours de l’an 100 de notre ère. La contemporanéité de ce matériel, sa distribution à tous les niveaux et sur toute la longueur de la fosse, laissent à penser que l’utilisation funéraire de celle-ci fut de courte durée. C’est la plus ancienne manifestation du rite de crémation à l’époque gallo-romainerencontrée à ce jour dans notre département.
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